Abd el Kader et la France de Napoléon III


On peut trouver bon nombre de livres, d’articles sur Abd el Kader. Rien ne remplacera l’ouvrage d’Alexandre BELLEMARE publié en 1863 chez Hachette, une petite merveille d’objectivité et de précision. Le livre ne comporte pas moins de 462 pages et propose nombre de compte-rendus de première main, que ce soit celle d’Abd el Kader lui-même, qu’Alexandre Bellemare a cotoyé, que celles d’autres officiers qui ont bien connu Abd el Kader.

Souvent ce genre d’ouvrage est partial ou sentimental. Il n’en est rien. Il suffit de méditer la citation que l’auteur place en exergue de son livre, citation de Napoléon 1er : « Il ne faut jamais craindre de rendre justice à un ennemi ; c’est toujours honorable et quelquefois habile. » Rien ne pourrait donc mieux traduire les relations entre Abd el Kader et la famille Bonaparte.

Abd el Kader n’a pas connu Napoléon 1er puisqu’il est né en 1808, mais en a entendu parler par les échos qui lui parvenaient d’Egypte, et particulièrement favorables ceux de Méhémet Ali. La délivrance de la tutelle turque - imposée par mamelouks ou janissaires interposés - était un point commun entre Algériens et Égyptiens. Le remplacement par une tutelle française n’était pas de nature à enthousiasmer les Algériens, dans la mesure où un clou chassant l’autre, les Français, en chassant les représentants des Turcs, avaient créé un vide sidérant dans lequel s’était engouffrée l’anarchie.

Ou bien ce petit génie de jeune homme de 25 ans était l’associé rêvé de la France, et il fallait lui en laisser le pouvoir de co-gouverner l’Algérie moderne, ou bien c’était l’homme du djihad anti-roumi, qu’il fallait « neutraliser ». Ni la royauté, ni la deuxième république n’ont eu de stratégie basée sur l’intelligence et le bon sens. Le résultat est qu’il a fallu une armée de 106 000 hommes pour venir à bout de cette volonté, qui tenait de Vercingétorix et de Napoléon Bonaparte. Et encore, découragé par les défections à répétition de ses coreligionaires, Abd el Kader n’a pas été capturé, mais il s’est rendu, comme un prince qu’il était, comptant sur la magnanimité de ses adversaires.
Dans son introduction, Alexandre Bellemare cite le maréchal Soult qui disait en 1843 :
« Il n’y a présentement dans le monde que trois hommes auxquels on puisse accorder légitimement la qualification de grands, et tous trois appartiennent à l’islamisme : ce sont Abd el Kader, Méhémet Ali et Chamyl. »

On notera que pour Chamyl - le lion du Daghestan - il n’a pas fallu 100 000 hommes aux Russes pour en venir à bout, mais 200 000 hommes, dont Tolstoï. Et lui-aussi n’a pas été pris mais s’est rendu. Comme Abd el Kader à Paris, il a été ovationné à Saint Petersbourg.

Pour mieux conserver l’authenticité du témoignage d’Alexandre Bellemare, nous ferons un montage de citations, reliés par des «fondus-enchaînés» de notre composition.

... Un mois après l’arrivée de l’émir à Amboise, le prince Louis-Napoléon était appelé à la présidence de la République ... En effet, le 14 janvier 1849, vingt-quatre jours après son élévation à la présidence, le prince Louis-Napoléon convoquait, pour délibérer sur cette question, un conseil extraordinaire, auquel étaient appelés M. le maréchal Bugeaud et M. le général Changarnier. Nous n’avons pas la prétention de savoir exactement ce qui fut dit dans ce conseil ; mais si nous rapprochons les indiscrétions qui furent commises par le journal le Crédit (numéro du 16 janvier) ... sans l’insistance de M. le général Rulhière, ministre de la guerre, les observations présentées par M. le maréchal Bugeaud et par le général Changarnier en faveur de la mise en liberté d’Abd el Kader eussent été accueillies.

... correspondance du Morning Post (novembre 1852) : « Il est notoire aujourd’hui que si Abd el Kader n’a pas été rendu plus tôt à la liberté, c’est qu’il y avait entre le Prince et lui le contrôle de l’Assemblée nationale. » ...

... Dans une des visites qu’Abd el Kader fit à Saint-Cloud au prince Louis-Napoléon, Son Altesse lui offrit l’alternative ou d’être envoyé en orient, comme Elle le lui avait promis, ou d’habiter Trianon, qui serait mis à sa disposition. Malgré la magnificence d’une semblable proposition, Abd el Kader opta pour son envoi sur une terre musulmane...

... M. le capitaine Boissonnet ... lui expliquait nos mœurs, nos habitudes, les merveilles des sciences et des industries, notre histoire, celle des principaux événements de la première révolution, l’histoire de Napoléon 1er surtout, dont le prisonnier aimait à se faire raconter l’immortelle et glorieuse légende.

Le capitaine Boissonnet incite Abd el Kader à écrire un livre. Le titre de cet ouvrage dont Abd el Kader a fait don à la Société asiatique, peut se traduire ainsi : Memento pour l’homme qui sait, et enseignement pour celui qui ignore.
Ces entretiens scientifiques furent, pendant les quatre années qu’Abd el Kader passa à Amboise, la seule distraction qu’il consentit à se donner .

... Après avoir entretenu pendant quelques instants M. le commandant Boissonnet, à la descente de son wagon, le Prince monta en voiture, et, prenant une feuille de papier et un crayon, il se mit à écrire rapidement pendant quelques minutes. Le sort d’Abd el Kader venait d’être décidé, mais dans quel sens ? Personne ne le savait encore ...

...Laissons au surplus, l’émir nous raconter lui-même cette scène ... « Lorsque j’eus salué profondément le sultan, il prononça en français quelques mots que je ne compris pas, mais au milieu desquels je distinguai seulement celui de liberté, l’un de ceux que je connais le mieux dans votre langue, parce que c’est celui que j’ai répété le plus souvent. »

... Voici les lignes que le Prince avait écrites dans le trajet de la gare d’Amboise au château :
« Abd el Kader,
Je suis venu vous annoncer votre mise en liberté. Vous serez conduit à Brousse, dans les Etats du sultan, dès que les préparatifs nécessaires seront faits et vous recevrez du gouvernement français un traitement digne de votre ancien rang. Depuis longtemps, vous le savez, votre captivité me causait une peine véritable, car elle me rappelait sans cesse que le gouvernement qui m’a précédé n’avait pas tenu les engagements pris envers un ennemi malheureux ; et rien à mes yeux de plus humiliant pour le gouvernement d’une grande nation que de méconnaître sa force au point de manquer à sa promesse ...

... Abd el Kader reçoit un subside annuel de 100 000 fr ...

... Quelques jours après sa mise en liberté, Abd el Kader sollicita et obtint l’autorisation de venir à Paris (Pendant le séjour d’Abd el Kader à Paris, l’auteur de ce livre fut détaché, sur la demande de M. le commandant Boissonnet, auprès de l’émir) ...

... Le jour même avait lieu à l’Opéra une représentation extraordinaire dans laquelle allait être chantée une cantate en l’honneur du voyage de Bordeaux...

A sa surprise, Abd el Kader est invité à cette soirée et accepte pour faire plaisir au « Sultan » français.

... Pour la première fois, Abd el Kader allait se trouver en présence d’une salle composée de l’aristocratie parisienne, des grands fonctionnaires de l’Etat, des notabilités de l’armée, de personnages marquants dans les lettres, les sciences, les arts, la finance. On pouvait se demander quel accueil lui ferait cette assemblée... L’incertitude ne fut pas de longue durée ... La cause de l’émir était gagnée : c’était la sympathie qui l’accueillait... A partir du moment où il eut aperçu son libérateur, une seule pensée préoccupa l’émir : lui serait-il permis d’aller porter au sultan l’hommage de sa reconnaissance ? Une réponse d’acquiescement vint bientôt le rassurer et lui faire connaître qu’il serait reçu dans l’entr’acte suivant. Le bruit de cette nouvelle se répandit instantanément dans toute la salle ; aussitôt chacun de prendre ses dispositions pour se trouver sur le passage de l’homme célèbre dont le nom avait été si souvent mêlé à nos triomphes, parfois à nos revers. La réception qui l’attendait devait laisser bien loin d’elle toutes les suppositions que l’on eût pu faire, car, nous devons le dire à l’honneur de notre nation, sur les mille personnes peut-être qui, à partir de la loge occupée par Abd el Kader jusqu’à celle du Prince, se pressaient sur deux rangs serrés, il n’y eut pas un homme qui ne se découvrit, pas une femme qui n’agitât son mouchoir devant le héros des légendes algériennes...

Abd el Kader est invité par Louis-Napoléon au château de Saint-Cloud.

... Dans le salon d’attente se trouvait une pendule qui, outre l’heure de Paris, indiquait simultanément celle des principales villes du monde, et notamment celle de la Mekke. La remarque en fut faite à l’émir, qui, tirant aussitôt sa montre, la régla sur l’heure de la ville sainte, afin, dit-il, de pouvoir faire ses prières au moment même où ceux qui avaient le bonheur de vivre près de la Kaaba remplissaient ce devoir religieux ... C’est probablement la seule fois que le palais de Saint-Cloud ait entendu la prière d’un musulman ! ...

Abd el Kader avait désiré visiter le tombeau de Napoléon Ier. On s’était empressé de satisfaire à ce vœu, et, par la même occasion, de lui faire voir l’hôtel des Invalides.

... « Je sortirais, dit-il, complètement heureux de cet hôtel des blessés parce que j’y ai vu le tombeau du sultan Napoléon et que j’ai touché à l’épée qu’il portait dans les combats, si je n’emportais avec moi la pensée que je laisse dans cet asile des hommes qui y sont ou par moi, ou par les miens » ...

En visitant l’imprimerie nationale :

... « J’ai vu hier, dit-il, la maison des canons avec lesquels on renverse les remparts (Musée d’Artillerie) ; je vois aujourd’hui la machine avec laquelle on renverse les rois. Ce qui en sort ressemble à la goutte d’eau venue du ciel : si elle tombe dans le coquillage entr’ouvert, elle produit la perle ; si elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le venin.» ...

... Mais de toutes les visites qu’il reçut, celle à laquelle Abd el Kader se montra le plus sensible fut sans contredit la visite que lui firent cinq de ses anciens prisonniers de la deira, qui se trouvaient alors à Paris. Tous ces hommes qui avaient été prisonniers pendant deux ans étaient venus remercier Abd el Kader des bons traitements qu’ils avaient éprouvés durant leur captivité, tant de sa part que de la part de sa famille...

... L’intervalle qui sépare le retour d’Abd el Kader à Amboise de second voyage à Paris, où il arriva le 1er décembre suivant, fut occupé par les préparatifs du départ. Cependant l’émir devait, quoique éloigné de la capitale, trouver un ingénieux moyen de faire parvenir au prince Louis-Napoléon un témoignage public de sa reconnaissance. Le 21 et 22 novembre 1852, la France était appelée à décider si la dignité impériale serait rétablie dans la personne et dans la famille de Louis-Napoléon...

... Abd el Kader demanda à s’associer, lui et les siens, au grand acte qui allait s’accomplir.
« Nos enfants, disait l’émir dans la lettre qu’il adressait au maire d’Amboise, nos enfants ont vu le jour en France ; vos filles les ont allaités ; nos compagnons, morts dans votre pays, reposent parmi vous, et le sultan, juste entre les justes, m’a rangé au nombre de ses enfants, de ses soldats, en me donnant un sabre de ses mains. Nous devons donc nous regarder aujourd’hui comme Français. »
Le maire d’Amboise crut devoir accéder à la demande de l’émir ; seulement il fut décidé que les bulletins déposés par Abd el kader et ses compagnons seraient recueillis dans une urne spéciale...

... Le 2 décembre 1852, au moment où l’Empereur faisait son entrée solennelle dans le palais des Tuileries, Abd el Kader était au bas de l’escalier d’honneur avec les grands fonctionnaires de l’État, pour saluer Napoléon III. L’Empereur, apercevant l’émir, se dirigea immédiatement vers l’ancien captif et lui serrant affectueusement la main :
«Vous voyez, lui dit-il, votre vote m’a porté bonheur.» ...

Abd el Kader, qui ne se plait pas en Turquie, tire profit du tremblement de terre et revient en France pour obtenir le changement de sa résidence de Brousse à Damas.

... Abd el Kader se trouvait à Paris lorsque le télégraphe apporta la nouvelle que la cité reine de la mer Noire ( Sébastopol ) avait enfin succombé... M. le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, désirait que l’émir vînt s’associer par sa présence aux actions de grâce que la France et son souverain allaient rendre à Dieu ... mais il craignait que la rigueur de ses principes religieux ne missent obstacle à ce qu’il assistât aux pompes du culte chrétien.
«Penses-tu, dit-il, que je fasse plaisir au sultan si je vais à la mosquée des chrétiens ?
- Sans aucun doute.
- Alors j’irai» ...

... De son côté, le peuple, qui a un instinct merveilleux pour tout comprendre, fut touché de voir cet ennemi de la France s’associer aux joies des ses triomphes, et à la sortie de l’église, il le remercia par une ovation chaleureuse...

... Nous approchons de la date fatale du 9 juillet 1860 ...

... Les chrétiens, pour leur malheur, ne surent pas jouir avec réserve des concessions qui leur étaient faites ; ils crurent pouvoir relever la tête sans danger, se montrèrent fiers, arrogants vis-à-vis des musulmans dont ils espéraient n’avoir plus rien à redouter ; ils ravivèrent ainsi des haines dont le gouvernement turc sut tirer avantage. En effet, avec 1840, devait s’éteindre l’autorité de Méhémet Ali sur la Syrie et avec cette autorité, les jours de tolérance...

... Le gouvernement turc était trop adroit pour réclamer une mainmise complète et immédiate sur la Montagne ; il ne commit pas cette faute. Lui dont l’habileté a toujours consisté dans la patience, il comprit qu’une nouvelle étape était nécessaire pour qu’il pût arriver à son but définitif ; qu’il lui serait plus facile d’obtenir l’adhésion des puissances à une organisation mixte qu’à une organisation ayant un caractère tranché ...

... Les conséquences de cette politique ne se firent pas attendre. Sans rappeler un grand nombre de collisions partielles éclatant presque périodiquement entre les Druzes et les Maronites de la partie sud, nous nous bornerons à signaler le grand massacre de 1845 qui coûta la vie à plusieurs milliers de chrétiens...

... Sébastopol tombée, les chrétiens purent reconnaître combien la conduite qu’ils avaient tenue pendant la guerre était, pour eux, grosse de périls... Dès ce moment, les rôles se trouvaient intervertis : c’était aux Turcs à rendre insulte pour insulte aux chrétiens. Toutefois la vengeance paraissait devoir se borner à des paroles, lorsque parut le hatti humaïoun (décret impérial) qui relevait la condition des chrétiens sujets de la Turquie, les appelait à faire partie de l’armée, substituait à l’impôt de rachat les impôts payés par les musulmans, admettait leur témoignage juridique, les déclarait enfin aptes aux emplois. Ce décret produisit dans tout l’empire une émotion et un mécontentement profonds, raviva la jactance des uns, la colère mal éteinte des autres, excita les passions partout, et principalement en Syrie.

... On ne saurait douter que des ordres aient été adressés dans le sens d’une agitation à produire : seulement, pour le malheur des chrétiens, ils furent interprétés par des fonctionnaires beaucoup trop zélés ; Le gouvernement ne voulait que des témoignages de mécontentement contre le hatti-hamaïoun ; quelques pachas, et notamment celui de Damas, jugèrent qu’en fomentant un massacre ils pourraient offrir à leur gouvernement une démonstration bien plus concluante contre le décret impérial ...

Il y a eu 6 000 victimes au Liban et 8 000 à Damas. La décision du massacre fut prise le 5 mars 1860 pour une exécution au 12 mars. Mais Abd el Kader entend parler du complot et en fait part à M. Lanusse, gérant du consulat de France, en absence du titulaire en congé. M. Lanusse prend la décision de convoquer le corps consulaire et d’aller en délégation auprès du pacha, qui les rassure. Le complot est reporté. De nouvelles rumeurs font retourner Abd el Kader chez M. Lanusse, qui repart avec le corps consulaire chez le pacha, qui les rassure une deuxième fois et retarde une deuxième fois le massacre. Trois semaines plus tard, les renseignement des plus précis parviennent à Abd el Kader : l’explosion est imminente. Abd el Kader et Lanusse décident d’agir de concert : Abd el Kader fait rassembler 1 100 maghrébins et Lanusse prend sur lui d’acheter en secret des armes pour les constituer en groupes d’intervention. Lanusse fait une dernière démarche auprès d’Ahmed-pacha. Celui-ci, qui n’est que trop au courant du complot, prend peur pour sa propre responsabilité et envoie des courrier pour arrêter le massacre. Trop tard, il a déjà commencé au Liban.

... Qu’allait faire Ahmed-pacha ? Arrêterait-il l’exécution de la partie du complot qu’il s’était réservée ? Abandonnerait-il ses complices à eux-mêmes ? Utiliserait-il, au contraire, la fermentation que commençait à produire, au milieu de la population musulmane de Damas, l’annonce des massacres au Liban, pour la lâcher sur la population chrétienne ? Ce fut à ce dernier parti qu’il s’arrêta ...

Le 8 juillet 1860, des dessins informes représentant des croix et des mitres furent figurées sur le sol des rues de Damas.

... Lorsqu’un chrétien venait à passer, les insultes redoublaient en sa présence ; on le forçait à piétiner sur la croix ; résistait-il, il se voyait outrageusement frappé...

Deuxième phase de la manip : le lendemain un ordre du pacha stipule que « les rues salies par les ordures lancées sur les croix seraient lavées par des musulmans «. Cet ordre met le feu aux poudres.

... De tous côtés, on entend dans les rues les pas précipités des malheureux qui, fuyant devant les hordes acharnées à leur proie, cherchent à gagner soit la demeure d’Abd el kader, soit quelque consulat... Les consulats de France, de Russie, des Etats-Unis, de Grèce auront l’honneur d’être pillés ou incendiés les premiers, tandis que, seul entre tous, celui de la Grande-Bretagne subira l’injure d’une exception qui impressionnera douloureusement l’opinion publique en Europe ...

Abd el Kader s’efforce de gagner la demeure du muphti ; la réponse qui l’accueillit fut que le muphti dormait.

... Dès lors, sa pensée se retourne vers le représentant de la France, dont l’hôtel attaqué une première fois et protégé par Kara et ses 40 Moghrébins, va se trouver enveloppé par le flot qui monte et menace de l’emporter avec ses défenseurs ... Il s’adresse à Lanusse : « Maintenant, lui dit-il, écoute et pèse bien mes paroles : moi vivant, un seul de mes Moghrébins vivants, on ne touchera pas à ta personne, car je suis responsable de toi vis-à-vis de celui qui m’a fait libre... Tu m’as dit toi-même : là où est le drapeau de la France, là est la France. Eh bien ! emporte avec toi ton drapeau, plante-le sur ma demeure, et que la demeure d’Abd el Kader devienne la France.» ...

... De trois heures à cinq heures de l’après-midi, Abd el Kader fut constamment occupé à parcourir les rues de Damas ... Il était environ cinq heures quand il parvint devant un couvent de pères capucins. Ceux-ci, au nombre de huit ou neuf s’étaient barricadés dans leur demeure ... Après avoir perdu un temps précieux à parlementer avec eux, Abd el Kader se vit dans la nécessité de les abandonner à leur sort. A peine avait-il disparu que les pauvres moines étaient attaqués et brûlés vivants dans leur retraite...

Abd el Kader sauve 6 pères lazaristes, 11 sœurs et 400 enfants.

... A la nouvelle que des masses de chrétiens avaient trouvé asile chez Abd el Kader, une immense agitation se produisit parmi la multitude...

Abd el Kader va au-devant d’eux. Son arrivée est accueillie par une explosion tumultueuse de cris désordonnés mais tous s’unissaient à demander la remise des chrétiens.

... - Les chrétiens ! les chrétiens ! s’écrie la foule frémissante, comme dix-huit siècles auparavant le peuple romain répétait dans ses arènes : les chrétiens aux lions ! les chrétiens aux lions !
- Les chrétiens ! répondit Abd el Kader dont les yeux commençaient à lancer des éclairs ; tant qu’un seul de ces vaillants soldats qui m’entourent sera debout, vous ne les aurez pas, car ils sont mes hôtes... Et vous, mes Moghrébins, que vous cœurs se réjouissent, car, j’en prends Dieu à témoin, nous allons combattre pour une cause aussi sainte que celle pour laquelle nous combattions autrefois ensemble ! »
Puis se tournant vers Kara-Mohammed :
«Kara ! mon cheval, mes armes !»
A cet appel de leur ancien sultan, il s’éleva des rangs des Moghrébins une immense acclamation qui sans doute apparut aux assaillants une confirmation suffisante des paroles de l’émir, car la foule, se ruant comme un troupeau vers toutes les issues, n’eut rien de plus pressé que de se soustraire à l’attaque dont elle se croyait menacée.
... A partir de ce moment, des colonnes de 100 à 200 Moghrébins furent envoyés dans les différents quartiers de la ville pour recueillir les chrétiens...

Bientôt 4 000 chrétiens se trouvent entassés dans la demeure d’Abd el Kader. Il réussit à les faire conduire à la citadelle sous la protection d’un corps de Moghrébins.

... Grâce au vide qui vient de se faire dans sa maison, l’émir peut de nouveau se consacrer à la mission de salut à laquelle il s’est dévoué. Par les soins de ses Moghrébins il fait proclamer dans toute la ville qu’il payera une somme de 50 piastres pour chaque chrétien qui lui sera conduit vivant... Pendant cinq jours consécutifs, au bout desquels arrivèrent enfin de Beyrouth 1 000 hommes de renfort, tel fut le rôle glorieux d’Abd el Kader. Nuit et jour sur pied, ne sentant ni sommeil, ni faim, ni fatigue, songeant à tous, excepté à lui, il dirige ce grand sauvetage de la population chrétienne de Damas. Les armées de la civilisation sont absentes : il s’est donné, lui, descendant du Prophète, soldat de la guerre sainte, la mission de les remplacer.... 12 500 chrétiens se sont vus arracher à la fureur de l’islamisme déchaîné, aux acclamations de l’Europe reconnaissante...

... Huit années auparavant, Abd el Kader avait prononcé ces mots, qui devaient résumer son histoire depuis sa mise en liberté : « D’autres ont triomphé de moi ; seul, Louis-Napoléon m’a vaincu

Alexandre Bellemare conclut ainsi son livre :

... A nos yeux, caractère de l’homme, mobile de ses actions peuvent se résumer en un mot : Abd el Kader est l’idéal du musulman intelligent et convaincu ...

Ce livre devrait être diffusé partout en France et en Algérie ... et ailleurs ! A sa lecture, on comprend bien qu’il gênerait certains. Il a été réédité aux éditions Bouchene