LE ROYAUME ARABE DES NAPOLÉONS



  Création le 18 mars 2009


Est-ce l’atavisme des racines méditerranéennes de la famille Bonaparte, ou la réminiscence de l’empire romain qui s’étendit des deux côtés de la mer Méditerranée - mare nostrum - ou encore le besoin de contrer la stratégie anglaise de contrôle de la route des Indes, toujours est-il que les deux empereurs ont tenté de créer un royaume arabe allié à la France. Tentatives avortées à cause de la défaite navale d’Aboukir pour le premier, et de la défaite de Sedan pour le deuxième.

C’est sans déplaisir que le Directoire envoyait ce jeune homme trop ambitieux se perdre dans les sables de l’Orient. Comme l’a dit ensuite Napoléon I au Conseil d’État : « ... c’est en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte ...» et cette appréciation sans équivoque sur Mahomet, en 1817 : « Ce qui est supérieur en Mahomet, c’est qu’en 10 ans il a conquis la moitié du globe, tandis qu’il a fallu 300 ans au christianisme pour s’établir. »

Pour répondre à la piraterie de la Régence d’Alger qui continuait à faire la guerre aux Italiens et aux Corses, désormais rattachés à la France, le Premier Consul a menacé Mustapha Pacha - qui l’a pris très au sérieux - de venir lui-même régler le problème sur place. Ses difficultés européennes l’ont détourné de débarquer à Sidi Ferruch, dont il avait fait minutieusement préparer le plan par le commandant Boutin. Sans la pression finalement victorieuse des Anglais, il eut reconstitué l’Union pour la Méditerranée des Romains.

Napoléon III avait les mêmes idées que son oncle : du savoir-vivre avec lequel il a traité l'Émir Abd el Kader à l’encouragement au creusement du canal de Suez, il a tenté de faire progresser ce mythe du royaume arabe. Un épisode fondamental, mais occulté ensuite par les «historiens» de la IIIème république est formé par ses deux voyages en Algérie, le premier de 5 jours, en famille, suivi d’un sénatus-consulte 22 avril 1863 sur l’arrêt du « cantonnement des tribus », et le deuxième de 40 jours suivi d’un sénatus-consulte du 14 juillet 1865 sur l’intégration des indigènes musulmans et israelites à la France (et contenant, semble-t-il, un projet de « discrimination positive »). Il avait formellement promis de revenir pour une nouvelle avancée. La défaite et la maladie ont éteint ce projet, au moins jusqu’au XXIème siècle.

Il existe au moins deux relations complètes du deuxième voyage. La première est intitulée « Le voyage de S.M. l’Empereur en Algérie et la régence de S.M. l’Impératrice» de René de Saint-Félix - 1865 - Eugène Pick Éditeur, et la deuxième est intitulée «Napoléon III en Algérie» de Octave Teissier - 1865 - Chalamel éditeur (340 pages). Les deux ouvrages ont été digitalisés sur internet. Seul le deuxième est diffusé par Google début 2009.

Le travail d’Octave Teissier, correspondant du Ministère de l’Instruction Publique pour les travaux historiques, a été fait principalement à partir des relations de la presse algérienne, d’où la publication in extenso des discours de bienvenue et de leur réponse. Mais il y a aussi bon nombre de remarques qui font qu’en lisant entre les lignes, on peut décoder le fond du message. Il est à noter que ce travail est particulièrement muet sur les entretiens qu’a eus l’Empereur avec ses interlocuteurs arabes, sauf si d’autres sources se révélaient. En revanche la publication quasi immédiate du sénatus-consulte sur l’intégration ne laisse aucun doute sur les conclusions auxquelles Napoléon III est parvenu. La suite des événements semble montrer que l’application de ce sénatus-consulte a été très rapidement sabotée.

L’analyse du livre dont on ne peut soupçonner la bonne foi, mais dont on doit constater les lacunes en termes d’objectivité, fait apparaître 107 occurrences se rapportant aux 264 pages hors appendices.

 
D’une manière générale, l’accueil semble avoir été particulièrement chaleureux, quelle que soit la communauté, et le savoir-faire de Napoléon III a été de très haut niveau. Les occurences les plus significatives sont classées par rubriques. Extraits :

AGRICULTURE

 
Sur les propriétés indigènes, beaucoup de broussailles, de palmiers nains et de marécages.
... et bientôt les palmiers nains, péniblement arrachés, étaient remplacés par une luxuriante végétation...
... ces colons qui avaient transformé des marais infects en riches cultures ...
... Sa Majesté me demanda si j’étais d’avis que le palmier nain était indispensable à la conservation des pacages par l’abri qu’il donne en été aux plante fourragères, je répondis ... que la chose vraie, en elle-même en ce qui est du pâturage primitif des indigènes ... était avec raison considéré par les colons comme un de leurs plus cruels ennemis ...
Doléances des colons sur l’agriculture indigène
... Le Moniteur du soir a publié à cette occasion quelques observations très-vraies sur l’incurie du cultivateur indigène ...
... « ... nos colons comprennent qu’il leur faut se hâter pour réparer la paresse douze fois séculaire des Arabes ...» ...
... « les caroubiers ... préservés des incendies qui, par l’incurie des arabes, dévastent trop souvent les reboisements ...» ...
... « le rendement différentiel très-sensible en poids et en qualité qui existe entre la toison arabe et la toison métis mérinos ...»
... « ... les belles plantations et les arbres gigantesques produisent un effet délicieux et reposent agréablement les yeux fatigués par le désert qu’affichent les cultures des indigènes ...»
... «... mais que les indigènes n’aimaient pas le travail.»
... «... les arabes ont même abusé de la bienveillance de Sa Majesté. Profitant du manque de police ... ils ont remis des pétitions : l’une était une demande de dégrèvement d’impôts, accompagnée d’une gerbe d’épis de blé et d’orge, attestant par leur maigreur que la récolte serait mauvaise. »


SPÉCULATEURS ET GROS PROPRIÉTAIRES

 
«De la Trappe à Sidi-Ferruch, il y a environ 8 kilomètres, dont 4 au moins sont parcourus par d’interminables broussailles. M. le Maréchal de Mac-Mahon et M. le général de Wimpffen, commandant de la province firent remarquer à l’Empereur que les colons n’étaient pour rien dans ce désert ; mais que cette vaste étendue de terre appartenait à des spéculateurs résidant en France, qui n’en tiraient aucun parti, attendant une plus-value pour s’en débarrasser.»
... «... le manque de terres et non le manque de bras entrave ici depuis longtemps le développement de la colonisation ...»
... «Cette ferme, d’une contenance totale de 2500 hectares ...»

BARRAGES
« Je m’occuperai sérieusement de votre province en vous donnant des barrages ; je vois bien que tout est là. » (Allocution à Saint Denis du Sig)

DOLÉANCES DES COLONS AU SUJET DES CHEF ARABES

 
« L’indigène n’est pas hostile à nos colons ; il se joindrait très-volontiers à eux pour cultiver la terre, s’il n’était retenu par les chefs arabes qui ont tout intérêt à conserver sous la tente des hommes corvéables et taillables.»
L’Empereur a voulu connaître les difficultés que M. Bonfort avait dû surmonter, et notamment celles provenant de fait des chefs arabes qui, pendant longtemps, n’ont pas permis aux indigènes de quitter la tente pour aller s’établir sur les terres de ce colon.

SOUHAITS D’INTÉGRATION

 
M. Poignant, préfet d’Alger, au sujet des intentions du Conseil Général de la province : « ... développement de la colonisation, assimilation progressive des indigènes à la civilisation européenne et protecton de leurs droits ...»
M. Arnould, société impériale d’agriculture, : « la colonisation européenne ... doit avoir pour corollaire indispensable le bien-être des indigènes ...»
 

Proclamation de l’Empereur :
... «... Les Gaulois vaincus se sont assimilés aux Romains vainqueurs, et de l’union forcée entre les vertus contraires de deux civilisations opposées, est née, avec le temps, cette nationalité française qui, à son tour, a répandu ses idées dans le monde entier. Qui ne sait si un jour ne viendra pas où la race arabe régénérée et confondue avec la race française, ne retrouvera pas une puissante individualité semblable à celle qui, pendant des siècles, l’a rendue maîtresse des rivages méridionaux de la Méditerranée. »

 
... Une députation de quatre jeunes filles représentant les quatre races qui forment la population, c’est à dire une française, une espagnole, une israëlite et une arabe, toutes en costume national, lui offrirent un immense bouquet.
M. Bollard, maire de Mostaganem : « ... Laissez venir à nous les indigènes, Sire ; nous les avons toujours adoptés comme d’indispensables auxiliaires et souvent comme d’utiles amis. »
M. Barnoin, président de la chambre de commerce de Constantine : « Les intérêts de la population indigène, mêlés aux nôtres, sont désormais placés sous l’Egide de l’Empereur ! C’est de ce contact que jailliront la concorde et la prospérité de l’Algérie. »

 
BATNA - Une délégation de jeunes filles, appartenant aux quatre religions du pays, s’est alors avancée et a remis à l’Empereur une magnifique corbeille de fleurs sur laquelle était déposée l’adresse des habitants.
Voici les conclusions de cette adresse :
«Par la constitution de la propriété individuelle, l’Arabe, devenu notre nouveau compatriote, se rendrait aux bienfaits de notre civilisation, et pour faciliter son assimilation entière, nous serions heureux de le voir placé sous les lois du Code Napoléon. C’est ainsi qu’étant tous abrités sous le drapeau de la France, l’Algérie recueillerait les fruits d’une transformation complète, à laquelle elle ne cesse d’aspirer. »


RELATIONS PERSONNELLES AVEC LES ARABES
 

ALGER ... Les mêmes acclamations ont accompagné Sa Majesté jusqu’à la cathédrale (1)
(1) Il s’est produit, pendant la marche du cortège impérial, un incident assez curieux. En montant la rampe du boulevard, l’Empereur s’est senti saisir une jambe. C’était un arabe qui, bondissant de la haie comme d’une panthère, embrassait sa botte. Demandait-il grâce pour quelqu’un des siens, ou s’abandonnait-il simplement à une de ces démonstrations de dévouement passionné, dont les arabes sont si prodigues ? Nous ne saurions le dire ; toujours est-il, qu’en un tour de main, la police a subtilisé cet agile personnage et qu’il n’en a plus été question.

 
Ceci est à rapprocher de cela :
L’Empereur a visité, dans la soirée, le haut de la ville, incognito, accompagné seulement du Gouverneur Général et d’un aide-de-camp, qui étaient comme lui en bourgeois. Il s’est donné le plaisir d’entrer dans un café maure tout primitif, et, prenant leur café, ces messieurs ont écouté la conversation des habitués. En sortant, l’Empereur remit au kaouadj une pIèce de 20 fr. - Le prix de la tasse est de 5 c. - Le kaouadj dit assez négligemment macach monnaie (je n’ai pas de monnaie). Le Gouverneur lui dit alors : « Tu ne sais donc pas à qui tu parles ? C’est le Sultan. » A ce mot sa stupéfaction fut grande, mais aussitôt il se jette sur la main de l’Empereur pour la baiser, et au bruit qu’il fait pour exprimer son bonheur, tous les nègres, maures et arabes du café et des environs accourent et font à l’Empereur une ovation de salamalek, dont il ne lui est pas facile de se dépêtrer. Cette scène a beaucoup amusé l’Empereur.
 

Un des premiers faits de la journée du 7 (mai) a été un grand acte de justice. - L’Empereur a ordonné d’élever de un million à deux millions et demi le chiffre des indemnités à payer, dans les trois provinces, aux européens et aux indigènes qui ont éprouvé des pertes par suite de la dernière insurrection.
 

9 mai - Sa Majesté donne ensuite audience à un grand nombre d’indigènes.
Réception de la soirée comprenant : « ... les chefs arabes avec leurs longs burnous aux plis majestueux, les caîds, les muphtis, les Maures de distinction, attirant le regard par l’éclat bariolé de leurs ajustements orientaux ...
... A cent cinquante mètres environ, la voiture s’est arrêtée pour relayer, et là encore la population a entouré sa voiture pour voir de nouveau Sa Majesté, qui avait bien voulu s’entretenir avec un arabe de la famille des Embarek, Sidi-Kaddour-Ben-Hadj-Sereir, décoré de la Légion d’Honneur.

 
... Sa Majesté a dit à ces derniers : « Que la situation de la population indigène avait attiré son attention, et qu’elle ne la perdrait pas de vue. »

 
... L’Empereur avait déjà donné audience à un nombre considérable d’indigènes, et notamment au Khalifa de la Mina, Sidi-el-Aribi, qui a été nommé le surlendemain grand officier de la Légion d’Honneur. Le même jour, le kaïd des Kaïds des Flittas était élevé au grade de commandeur, l’agha de la Mina, au grade d’officier, et plusieurs autres chefs arabes étaient créés chevaliers.



RELIZANE - Les flots des indigènes grossissant toujours, elle n’a pas pu mettre pied à terre et bientôt la voiture impériale a dû s’arrêter, entourée de plus de 2,000 burnous. L’Empereur, toujours calme et souriant au milieu de ces hommes dont la plupart avaient combattu contre nous l’année dernière et voulant leur donner une preuve manifeste de sa bienveillance, a ordonné la délivrance d’un certain nombre de prisonniers retenus en France.
 

CONSTANTINE - Ensuite, malgré la course extrêmement pénible faite dans le ravin, l’Empereur renvoyait ses équipages et remontait à pied la ville à travers les quartiers arabes et les rues Pérégaux, Vieux, Rouaud, etc.
Les indigènes mêlaient leurs acclamations à celles des européens, et quelques-uns, sans doute pour rendre hommage à l’Empereur, jetaient des toisons de laines aux pieds de Sa Majesté.
 

BATNA - L’Empereur n’est arrivé à Batna qu’à 6 heures et demie du soir, ayant interrompu la rapidité ordinaire de sa marche pour assister à une splendide difa, que lui ont offerte les chefs indigènes et les goums réunis à El-M’lila. On porte à plus de 6,000 le nombre des arabes qui ont pris part à cette représentation de gala.
2 juin - Le repos et les soins que nécessitait pour Sa Majesté, la fatigue d’un trajet de 256 kilomètres parcourus en trente heures au plus, sur une route à peine carrossable, ne l’ont pas empêchée de recevoir les diverses personnes qu’elle avait jugées dignes de la décoration. (dont 3 caïds)
 

"BISKARA" - Plus loin, les indigènes avaient érigé un second arc de triomphe, sous lequel l’Empereur dut passer avant de faire son entrée au fort ... L’Empereur a voulu visiter l’oasis des palmiers. Il s’y est rendu, entouré d’un cortège brillant de chefs indigènes, aux burnous de pourpre, suivi des cavaliers réguliers, des goums et de la foule innombrable des habitants.
Le cortège qui s’avançait lentement, rencontrait sur son passage des improvisateurs indigènes, qui chantaient la bienvenue du grand Sultan de la France et de l’Algérie, en s’accompagnant à la manière des bardes, de leurs instruments primitifs ; les femmes indigènes, non voilées, se pressaient en groupes nombreux ; d’autres, perchées sur des chameaux, se montraient richement parées dans leurs atatouches entr’ouverts ; toutes poussaient de joyeux you ! you ! dès qu’elles apercevaient l’Empereur. ... A plusieurs reprises, l’Empereur a manifesté son admiration.
 

Puis, s’adressant aux chefs arabes, qui étaient venus lui offrir leurs hommages, l’Empereur leur a dit : « qu’il ne voulait voir dans les indigènes que des compatriotes, des Français, et que, les traitant à ce titre, il attendait d’eux le même dévouement à la patrie commune. » Il est inutile d’ajouter que les chefs arabes ont protesté de leur profond dévouement et de leur éternel attachement pour l’Empereur des Français.

TOUT VOIR, TOUT SAVOIR, APPORTER UN REMÈDE RADICAL
 

Sa Majesté, éclairée par les réponses qu’elle provoquait avec une précision admirable, a plus appris sur le pays en quelques heures, que n’aurait pu le faire la commission la mieux composée, dans une enquête de plusieurs jours. « Je suis venu ici pour voir, rien que pour voir. » - Oran - L’Empereur a été heureux de ce qu’il avait vu, il espérait bien pouvoir y revenir et constater de nouveaux progrès. Par deux fois, Sa Majesté a ajouté : « Dites-le bien à tout le monde, je veux qu’on le sache. »

Il n’est jamais revenu, pour le plus grand malheur de l’Algérie ...